Le CDEC « Cercle Dirigeants Esprit Critique » travaille sur la parallélisation des mondes à laquelle nous sommes soumis.  Il ne s’agit plus simplement d’une segmentation, d’une fragmentation ou d’une « archipélisation » des mondes qui laisseraient entendre qu’il y aurait un monde commun, mais bien d’une parallélisation. La sémantique de la séparation sociale (lutte des classes, monde d’en haut/monde d’en bas, global/local, central/territoire, siège/opérationnel) laisse entendre, malgré tout, la volonté d’une unité possible et d’un effort nécessaire pour réparer la coupure.

Implicitement, nous cherchons à « recoller les morceaux », rôle et fonction dévolus au politique pour faire de la cité un commun partagé, vivable dans la complémentarité des différences, des diversités et de toutes les formes d’altérités qui composent notre réel social et notre monde. En ce sens, nous gardons à l’esprit l’irréductible interdépendance de chacun à chacun qui conduit à un souci de l’intérêt partagé et général.

Avec la parallèlisation des mondes, un cap est franchi. Celui de l’abandon de la volonté de vivre dans un monde commun et d’habiter ensemble, celui du refus de la reconnaissance de nos dépendances et interdépendances, celui d’un abandon de l’idée même du politique comme effort vers l’unité, celui de l’abandon des valeurs.  C’est un autre projet que nous commençons tout juste à appréhender concrètement qui brise le rêve d’un monde humain commun, unis dans une même destinée et histoire, pour celui d’une « marche en avant » en tunnel dans des logiques qui ne cherchent plus la négociation, la composition, la relation, le croisement, le contact. 

Nous basculons dans une autre réalité, celle de mondes en parallèle, chacun sur sa ligne, sa trace, débarrassé du rapport à la vérité, à la science, à la raison, à l’ouverture et au droit. Débarrassé surtout de la culpabilité de ne plus s’y soumettre. Dany Robert Dufour avait montré en 2009, dans un livre remarquable « la Cité Perverse », que le mouvement d’un libéralisme anthropologique exacerbé, débridé, désinhibé conduisait à la perte de tout contact avec l’autre et dérapait dans une domination « sadique » et « perverse ». Nous y sommes.  Les sujets les plus désinhibés, jouissant sans culpabilité d’eux-mêmes, soumettent le monde à leur puissance, leur volonté, leur désir, leur instantanéité, leur violence, leur pulsion. L’espace publique de la raison, fait du sens des mots, de la force du droit, du poids de l’autre et de l’empathie à la souffrance semble dernière nous. 

Nous sommes, devant cette nouvelle réalité, sidérés et angoissés. Le vieux rêve d’un humanisme culturel semble s’éloigner, pire, semble ne plus être désiré. C’est en cela que l’Europe, y compris de l’intérieur, est visé. Il nous faut composer avec cette possibilité de ne plus vouloir une humanité commune et d’en appréhender le risque et le danger.  En cela, nous sommes en train de changer de mondes, parallélisés, nous plongeons dans une « guerre des mondes ».   

Ce monde en parallèle est une crise du contact. Le contact c’est tout un gradient de manière d’être au contact, d’être en contact. Il va du KO debout à l’intime de la caresse.  Il va sans dire que l’enjeu n’est ni dans l’un, ni dans l’autre, mais dans celui de retrouver et renouer les zones de contact qui deviennent connexion, lien, liant, réalité physique et non virtuelle/intermédiée. 

La déparallélisation de notre monde, condition nécessaire pour assurer un avenir à tous et une espérance possible face à la dégradation des orientations de notre monde (guerre politique et économique, crise écologique, dégradation du droit, négation de l’autre) exige de retrouver et de vouloir le contact. Un contact, patiné de la douceur et de la précaution, tout autant que de l’exigence et de la responsabilité afin qu’il nous reconnecte pour sortir de la force brutale et de la domination, mais aussi de soumission complice par défaut de courage et paresse intellectuelle.  Nous sommes peut-être à un tournant, sommés d’avoir à revisiter notre naïveté pour sortir d’une phase de l’histoire contemporaine régressive, d’un social dégradé et d’un politique déconnecté. 

Marc Grassin
Directeur et co-fondateur de l’Institut Vaugirard Humanités et Management.

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