Diego Diaz

Président de SNCF International et Directeur des Relations Internationales du Groupe SNCF

Depuis l’enfance, le parcours de Diego Diaz est traversé par le mouvement et la curiosité. Né d’un père espagnol et d’une mère française aux racines ancrées dans le sud-ouest, il grandit dans un univers où les langues, les cultures et les façons de penser s’entrecroisent.


À l’école déjà, il excelle dans les matières scientifiques ; après une classe préparatoire à Sainte-Geneviève (“Ginette”), il intègre l’ENSICA, devenue Supaero. Très tôt attiré par l’international, il part étudier en Allemagne, puis au MIT aux États-Unis, où il découvre la rigueur et la liberté intellectuelle du monde académique américain.


Son parcours professionnel s’inscrit dans cette même dynamique : ingénieur chez Thales, il choisit ensuite de reprendre ses études pour un MBA aux États-Unis, qu’il finance lui-même. Il rejoint ensuite Bombardier en Autriche, où il dirige des projets de tramways avant de prendre des responsabilités à Paris, puis à New York, comme directeur de Systra États-Unis. En 2013, il entre à la SNCF pour y appuyer le développement international du groupe et piloter les projets internationaux dans lesquels SNCF se positionne comme chef de file de la filière ferroviaire française.

 

Vous parlez souvent du mouvement comme d’un fil conducteur de votre vie. Qu’est-ce qu’il représente pour vous ?

 

Le mouvement, c’est sans doute la clé de mon histoire personnelle. Il y a dans ma famille une forme de nomadisme imposé par les circonstances : mon grand-père a fui la guerre d’Espagne, et du côté maternel, certains ancêtres ont quitté la Pologne. Cette double origine, entre exil et enracinement, a façonné mon rapport au monde. J’ai grandi dans un univers où il fallait apprendre à décoder l’autre, à comprendre sans forcément partager les mêmes codes culturels. Cela forge une certaine souplesse intérieure, une habitude du déplacement, géographique, bien sûr, mais aussi mentale.


Très jeune, j’ai eu envie de poursuivre ce mouvement. Étudier, voyager, rencontrer… Je n’ai jamais cherché à m’installer dans une zone de confort. J’ai suivi un parcours d’ingénieur “classique”, mais avec cette curiosité qui me poussait sans cesse à voir plus loin. En Allemagne, lors de ma première expatriation, j’ai découvert ce que signifiait véritablement la différence culturelle : la langue, les usages, la rigueur, tout était différent. J’ai traversé une période difficile, presque un choc, avant de réaliser que c’était précisément dans ce frottement que naissent les apprentissages les plus profonds.


Puis il y a eu les États-Unis, où j’ai poursuivi mes études au MIT. Là, j’ai découvert une autre forme d’exigence : celle de la liberté intellectuelle, de la remise en question permanente. Ce parcours m’a appris une chose essentielle : on ne voit jamais tout. Chacun perçoit le monde à travers ses propres filtres. L’interculturel, c’est aussi cela : reconnaître qu’on est toujours un peu incomplet, et que l’altérité est une chance de se compléter.

 

Votre parcours d’ingénieur semble s’être enrichi d’une profonde réflexion humaniste. Comment ces deux dimensions, technique et humaine, se sont-elles nourries mutuellement ?


Je crois que c’est venu au fil du temps, avec la prise de responsabilités. Quand on dirige, ce n’est plus la technicité qui fait la différence, mais la capacité à comprendre les situations humaines dans toute leur complexité. Il y a un moment où l’on réalise que les schémas purement rationnels ne suffisent plus. On peut savoir gérer un projet, piloter une stratégie, mais si on ne comprend pas ce qui se joue dans les interactions, dans les peurs, dans les émotions, on passe à côté de l’essentiel.


C’est pour cela que je me suis rapproché des humanités et de la philosophie. J’avais besoin de mots pour exprimer ce que je ressentais, de concepts pour structurer ma pensée. Lire, réfléchir, c’est aussi apprendre à se regarder fonctionner.


Par exemple, relire Descartes m’a permis de comprendre à quel point notre culture managériale reste influencée par une vision “domestiquante” du monde : on pense qu’il faut maîtriser, contrôler, dominer. Or le réel, aujourd’hui, ne se laisse plus maîtriser. La complexité contemporaine impose une autre posture : celle du dialogue, de l’écoute, de la compréhension fine des dynamiques en jeu.


Ce travail de mise en perspective m’a beaucoup apporté. Il m’a appris à ne pas chercher la vérité absolue, mais à naviguer entre plusieurs points de vue. C’est aussi une forme d’humilité : accepter que le sens se construit, qu’il n’est jamais donné une fois pour toutes.

 

Vous avez rejoint le parcours “Diriger et faire face à la complexité et à l’incertitude” de l’Institut Vaugirard Humanités et Management en 2019. Qu’y cherchiez-vous ?

 

À ce moment-là, je ressentais le besoin d’un espace où réfléchir autrement, en dehors des codes de l’entreprise. J’avais déjà commencé un travail personnel avec un coach, mais j’avais envie d’un cadre collectif, d’un lieu où je pourrais croiser d’autres dirigeants, partager des questionnements sans masque ni posture.


Le parcours FACI, je l’ai découvert presque par hasard, grâce à une collègue qui en parlait. J’y ai trouvé bien plus qu’une formation : un espace de respiration. Ce n’est pas un programme qui vous apprend à “faire”, mais qui vous aide à “penser” ce que vous allez faire. On y aborde des sujets qui, dans l’entreprise, sont rarement mis sur la table : la vulnérabilité, la responsabilité, la conscience, la complexité. On lit, on débat, on se confronte aussi.


Ce qui m’a le plus marqué, c’est cette liberté de parole et cette exigence intellectuelle. On y parle de philosophie, mais toujours en lien avec nos réalités de dirigeants. Et surtout, j’y ai découvert que j’avais une voix. Longtemps, j’ai eu le sentiment d’être entouré de personnes plus brillantes, plus rapides, plus assurées. Le parcours m’a permis de retrouver confiance dans ma propre parole, de comprendre que la réflexion que je porte, même si elle est singulière, a toute sa place et sa valeur.

Il faut avoir cette confiance en soi qu’on a une plasticité, une capacité à progresser.

 

 

Vous évoquez la vulnérabilité du dirigeant. Pourquoi est-ce un sujet central pour vous ?

 

On a longtemps appris aux dirigeants à ne rien laisser paraître : à maîtriser, à décider, à “incarner la force”. Or la véritable solidité ne vient pas de la façade, mais de la conscience de ses fragilités.


Être vulnérable, ce n’est pas être faible, c’est être lucide. C’est savoir qu’on ne sait pas tout, qu’on peut se tromper, qu’on a besoin des autres. Dans le parcours FACI, j’ai découvert que cette lucidité pouvait être partagée, et même devenir un levier collectif. Quand un dirigeant accepte de se montrer humain, il ouvre un espace où les autres peuvent s’autoriser à l’être aussi.


Cela a profondément changé ma manière de manager. J’ai appris à écouter différemment, à laisser la place aux silences, aux hésitations. L’écoute véritable suppose d’accepter que l’autre puisse avoir raison là où vous ne voyez pas clair. Cette posture d’ouverture, d’humilité, c’est peut-être ce qui m’a le plus transformé. Elle permet de créer un climat de confiance, de libérer la parole, et donc de mieux affronter les incertitudes.

 

Vous évoquez aussi le “devoir de lucidité” du dirigeant. Qu’entendez-vous par là ?

 

Quand on dirige, il arrive un moment où la question n’est plus seulement opérationnelle, mais éthique. À qui suis-je loyal ? À l’entreprise, à ses actionnaires, à la société, à mes valeurs ? Et que se passe-t-il quand ces loyautés entrent en tension ?


Je crois qu’un dirigeant doit garder une forme d’indépendance intérieure. Il ne s’agit pas de désobéir pour le plaisir, mais d’être capable de dire non quand quelque chose heurte sa conscience. Cela suppose une vraie lucidité sur soi : connaître ses ressorts, ses peurs, ses angles morts. Parce qu’un dirigeant qui n’a pas conscience de ses propres fragilités peut être destructeur pour ses équipes, il faut reconnaître sa condition d’être humain.


Cette lucidité, elle s’entretient. Elle passe par le dialogue, par le regard des autres, par des espaces de réflexion comme ceux que propose l’Institut Vaugirard. Elle demande aussi une certaine honnêteté : reconnaître qu’on n’est jamais totalement “aligné”, qu’on cherche toujours à l’être ou à le redevenir. C’est une forme de vigilance morale permanente, qui me semble essentielle dans les fonctions de responsabilité.

 

Après ce parcours et toutes ces expériences, quelle vision du leadership retenez-vous aujourd’hui ?

 

Je dirais que diriger, c’est avant tout un chemin d’apprentissage. Rien n’est jamais acquis : ni les savoirs, ni les postures, ni les certitudes. Il faut accepter que tout bouge, tout le temps. Ce n’est pas confortable, mais c’est vivant.


Le mouvement reste mon fil rouge. Mais aujourd’hui, il ne s’agit pas seulement de bouger physiquement, de voyager ou de changer d’environnement : c’est un mouvement intérieur, un déplacement du regard. J’essaie d’apprendre à “voir autrement”, à relier des choses que je n’aurais pas associées auparavant, à penser avec d’autres.

Quand tu es dirigeant, tu dois savoir ce que tu vas faire du pouvoir qu’on te donne

 

 

Je crois profondément que le doute, loin d’être un frein, est une ressource. C’est lui qui nous garde en éveil, qui nous empêche de devenir des gestionnaires de certitudes.


Dans un monde où tout s’accélère, prendre le temps de penser, de lire, d’écouter, de discuter, de remettre en cause ses propres convictions ou de remettre en question ce qu’on nous dit depuis des décennies, c’est presque devenu un acte de résistance.


Cette réflexion, je continue de l’avoir avec moi-même et avec le Club Dirigeants Esprit Critique de l’IVHM de façon régulière.Diego Diaz, un parcours à son image : ouvert, mobile, curieux du monde et des autres.

 

Diego Diaz, un parcours à son image : ouvert, mobile, curieux du monde et des autres.


Au fil du temps, Diego Diaz a façonné une vision du rôle de dirigeant profondément humaine. Pour lui, diriger ne consiste plus à maîtriser ni à imposer, mais à comprendre, relier et ouvrir des chemins de sens. Sa trajectoire illustre cette conviction : c’est dans le mouvement, intérieur autant qu’extérieur, que se nourrit la réflexion et que se construit la justesse de l’action.


Sa curiosité, son sens du collectif et son exigence intellectuelle traduisent une même quête : apprendre sans cesse, accueillir le doute, et faire de la complexité et de l’incertitude non pas une menace, mais un terrain d’exploration. Dans un monde où tout s’accélère, il revendique le temps de penser comme un acte de lucidité, presque de résistance, face à la pression de l’immédiateté.


Aujourd’hui encore, au sein du Cercle Dirigeants Esprit Critique de l’Institut Vaugirard, il poursuit ce travail de questionnement et de partage, convaincu que c’est ensemble que se construit la compréhension du réel.

Diego Diaz