Matthieu Sarrat dirige GT Solutions depuis 2019, une entreprise familiale de transport routier basée à Bordeaux, fondée par son arrière-grand-père. Avec 2 000 salariés et un chiffre d’affaires de 250 millions d’euros, il conjugue vision stratégique, ancrage opérationnel et adaptation aux défis contemporains. Il partage avec nous sa vision et ses apprentissages de en tant que dirigeant dans un monde complexe et incertain.
Vous avez rejoint GT Solutions en 2015 après une une dizaine d’années dans le conseil stratégique. Qu’est-ce qui vous a motivé à rejoindre l’entreprise familiale ?
Le conseil est un monde où les concepts sont clairs, très structurés, mais qui ne se confrontent pas toujours à la réalité quotidienne du dirigeant. Quand on a commencé à discuter avec mon père, Michel Sarrat, de la perspective de rejoindre l’entreprise, j’étais intéressé à entrer dans un monde où, au-delà des idées bien organisées, il y avait le monde de la mise en œuvre.
En rejoignant GT Solutions, j’ai découvert que diriger est un aller-retour permanent entre idées et mise en œuvre, entre vision et adaptation. J’avais envie d’aller au-delà des idées et d’entrer dans la réalité du terrain, complexe et incertain.
Dès mon arrivée, j’ai occupé plusieurs fonctions au sein de l’entreprise, notamment des postes opérationnels, ce qui m’a permis d’acquérir une compréhension approfondie des réalités du secteur. Ce fut un apprentissage essentiel avant de prendre la direction générale en 2019.
Vous avez suivi le programme FACI pour dirigeants en 2022. Qu’est-ce qui a motivé cette décision ?
Lorsque j’ai pris mes fonctions de directeur général, je l’ai fait avec une approche de consultant, au sens du triptyque : avoir une bonne idée, la formaliser et demander qu’elle soit bien exécutée. Mon monde des dessins, des concepts, des bouquins de management ne me suffisait plus et je me suis réellement questionné : Est-ce que c’est normal que ce soit si difficile”? Le difficile étant à la fois dans ce que j’arrive pas à faire, peut-être par manque de compétences, mais aussi dans l’environnement externe qui nous bombardaient d’événements adverses imprévus potentiellement destructeurs de valeur, que ce soit au niveau économique qu’humain, par la mise sous tension des équipes.
C’est vraiment cette thématique de “manager dans la complexité” qui a poussé ma réflexion sur le parcours. En 2022, après plusieurs années marquées par des crises successives (COVID, inflation, une acquisition difficile…), j’avais besoin d’une nouvelle grille de lecture pour mieux appréhender la complexité du monde dans lequel nous évoluons.
Le programme “Diriger et Faire face à la complexité et à l’incertitude” propose une approche singulière que je n’avais pas rencontrée auparavant : l’association entre la philosophie et le management qui permet de prendre la distance nécessaire à la prise de recul et au questionnement.
Une phrase de Marc Grassin m’a particulièrement marquée pendant le parcours : « Toute décision est avant tout relationnelle. » Ce programme m’a aidé à transformer ma manière de manager, en mettant plus d’accent sur l’appropriation collective des choix stratégiques. J’ai pris conscience que le rôle d’un dirigeant ne se limite pas à prendre des décisions, mais à créer les conditions pour qu’elles soient bien comprises, partagées et mises en œuvre efficacement.
Comment avez-vous intégré concrètement ces enseignements dans votre façon de diriger GT Solutions ?
Dans les périodes de turbulence, j’ai observé que chacun tend à se replier sur lui-même, à nager dans sa ligne d’eau, sur son champ de responsabilité et d’action, ce qui nuit à la transversalité et à la coopération. Or, pour diriger une entreprise, on a besoin de maintenir cette dynamique collective.
Ma première action après le parcours a été de consacrer plus de temps à la discussion avec mon comité de direction pour s’assurer que chacun s’appropriait les décisions individuellement et collectivement.
J’ai aussi fait évoluer ou instauré de nouveaux rituels de dialogue au sein de l’entreprise :
– des réunions mensuelles avec les cadres et agents de maîtrise pour partager les actualités, expliquer nos orientations et prendre le pouls des équipes.
– un « Tour de France des filiales » au printemps, durant lequel je me rends sur le terrain avec les directeurs pour échanger directement avec les équipes et confronter mes décisions à leur réalités opérationnelles
– une « grand-messe » annuelle en décembre, pour faire le bilan et aligner tout le monde sur les objectifs de l’année à venir.
Ces événements permettent de maintenir une cohésion et d’assurer que chaque collaborateur comprenne et s’approprie la stratégie globale.
Vous avez évoqué l’importance d’un leadership incarné. Comment trouvez-vous le bon équilibre entre subsidiarité et décision plus verticale ?
GT Solutions à une culture forte de responsabilisation et d’autonomie des équipes basée sur le concept de subsidiarité. Toutefois, en période de crises successives, se pose la question de réaffirmer la place du dirigeant et des cadres pour donner une direction claire et rassurer les équipes.
Il ne s’agit pas de centraliser toutes les décisions, mais de trouver le juste dosage entre agilité locale et cohérence stratégique. Dans ce cadre, ma mission est d’être présent pour insuffler du sens et veiller à ce que les décisions prises soient alignées avec notre vision.
Si vous deviez partager un apprentissage marquant de votre parcours de dirigeant, laquelle serait-elle ?
“Quand tout se passe normalement, rien ne se passe comme prévu. » – Peter Sloterdijk
Cette réflexion résume bien mon expérience : diriger, c’est accepter l’incertitude et l’imprévu comme une nouvelle norme.
Il ne s’agit pas seulement d’avoir la bonne stratégie, mais de construire un collectif capable de s’adapter, d’apprendre en continu et d’agir avec discernement face aux défis qui se présentent.
Diriger, ce n’est pas imposer des réponses toutes faites, mais créer un espace de dialogue et de co-construction. C’est cette approche qui, à mon sens, permet à une entreprise de se développer durablement.
En somme, ce parcours avec l’Institut Vaugirard Humanités et Management (IVHM) m’a offert bien plus qu’un cadre de réflexion : il m’a permis de prendre du recul sur mon rôle, de questionner mes certitudes et d’affiner mon approche du leadership en adoptant une posture plus ouverte et en intégrant davantage d’intelligence collective dans mes décisions.
Je mesure à quel point la capacité à se repositionner, à interroger ses choix et à cultiver un regard critique est essentielle pour diriger avec lucidité et agilité.