Faire résonner les humanités avec le management
La dynamique de reconfiguration rapide au sein des entreprises et du monde contemporain est aujourd’hui la donne avec laquelle il nous faut vivre. Personne ne peut aujourd’hui sérieusement prévoir ce que ce sera l’avenir à 10 ans.
Et pourtant, il nous faut développer, investir, adapter et s’adapter, changer. Mais il nous faut aussi accélérer, sans cesse, en aveugle, au cœur d’une complexité et d’une incertitude que personne ne peut à lui seul déchiffrer. Si certains y trouvent plaisirs et intérêts, d’autres s’y fragilisent et s’épuisent. La difficulté est aujourd’hui palpable non pas simplement dans les chiffres et les résultats mais dans l’inquiétude et le doute qui affleurent pour peu que l’on prenne le temps d’écouter.
L’entreprise fait désormais partie intégrante de la construction de soi. La zone d’interfaçage de l’entreprise et de la personne humaine s’est considérablement élargie. Le travail n’est pas seulement ce qui permet d’assurer les conditions matérielles de l’existence. Il est devenu un des lieux de la réalisation existentielle, pour le pire et le meilleur.
La relation avec l’entreprise n’est pas seulement une simple zone de contact mais est devenue une « zone d’impact ». En effet si l’homme au travail pouvait négocier un équilibre dans le rapport qu’il entretenait avec l’entreprise, il a été récemment rompu par une rythmique sans cesse plus rapide et l’obligation qui lui ait faite de suivre. La promesse d’un monde humain où chacun pourrait être dans un rapport équilibré et équilibrant avec soi et les autres rencontre la dureté des faits où la pression et les tensions augmentent, où les crises collectives et personnelles fragilisent l’homme dans son unité. La notion d’investissement personnel est plus que jamais requise, investissement du corps mais aussi de l’esprit. La dureté de la vie professionnelle réclame tout de l’homme. Mais ne réclame t-elle pas trop ? Son temps, son corps, son mental, sa culture.
Au cœur de ces difficultés vécues, resurgit la noblesse d’un homme qui questionne parce qu’il doute ou qu’il expérimente sa limite de rupture. L’époque actuelle est une belle occasion, parce que tout se redistribue, de la vision partagée d’un corps social solidaire et accueillant, à l’homme lui-même, en passant par les valeurs universelles de l’humanité que nous rêvions évidentes et éternelles. Les temps modernes s’ouvrent à nouveau au besoin de penser et de réfléchir, au besoin de distance pour faire ce que nous avons à faire sans perdre le sens de l’humain. Les temps sont au dialogue ou plus exactement à la mise en écho et à la résonance des humanités avec le poids du réel de notre quotidien. L’homme a besoin de cette respiration qu’offre la pensée qui cherche à réconcilier le monde avec sa dimension et sa finalité humaine.
Entre les obligations, les contraintes et les nécessités, un nouvel espace d’action émerge comme une sorte de détente nécessaire qui ré-ouvre à soi et à l’autre. Le goût et le plaisir que les managers éprouvent, comme une sorte de retour à la source de leur humanisme, est un signe. Le signe du besoin fondamental d’une articulation détendue mais exigeante de la pensée et de l’action.
La rencontre des humanités et du management n’est pas une chose facile. Elle doit être un véritable levier de la performance de demain, sans être une instrumentalisation de plus. Elle doit être le défi d’un bien commun et d’un bien ensemble au cœur de la complexité et de l’incertitude.
Marc Grassin, co-directeur de l’Institut Vaugirard – Humanités et Management