La décision n’est mère de rien si elle se limite à elle-même.

C’est l’obtention d’un résultat tangible et concret qui conditionne sa contribution même infinitésimale, au façonnage du monde.
La décision est diverse et diversement pratiquée.

Il y a ceux qui aiment décider, et ceux qui n’aiment pas. Et de fait qui devraient renoncer au pouvoir, mais ne le font pas toujours. Ceux-là recherchent néanmoins le pouvoir, et arrivent à se faufiler et à encombrer le haut des organisations.

ll y a ceux qui prennent des décisions courageuses, et que l’on trouve pas toujours en haut des pyramides hiérarchiques. D’autres choisissent les décisions faciles. Il y a ceux qui décident de faire et ne font pas. Il y a ceux et celles qui font décider les autres, et ceux qui décident pour les autres en s’appuyant sur eux-mêmes.

Bref, les logiques du pouvoir et de la décision ne sont pas toujours synchrones.
La décision est purement humaine, et donc nous ressemble. Elle peut ainsi être franche, nette, courageuse, dure ou floue, équivoque, molle ou décalée.
Il y a celle qui est claire, l’autre qui est ambigüe.
Il y a celle qui reste souvent orpheline, et celle qui, par son succès, ne manque pas de propriétaire.
Il y a celle qui engage sa propre vie, et celle qui engage celle des autres.
Il y a la décision qui complique la situation, celle qui l’éclaircit.
Il y a la décision qui fait «pschitt», celle qui fait «plouf».
Humaine, la décision est diverse.

Des limites de la décision

Trop de dirigeants s’imaginent qu’il suffit de décider pour que les choses se fassent. Cassons ce mythe ! Car il se passe beaucoup de choses sur le terrain qui échappent au dirigeant. Qu’il soit là ou pas, la vie se fait sans lui, qu’il décide ou pas, la vie continue cahin-caha, suivant sa propre dynamique. L’échec ou le succès sur le terrain ne dépend pas tant du dirigeant que du reste de l’organisation. Pour cela, regardons du côté de la chose militaire.

Commençons par Carl Von Clausewitz qui, dans son ouvrage «De la guerre», constatait à propos de la guerre, qu’«il n’existait pas d’activité humaine…. si universellement contrainte par le hasard, et de fait, la conjecture et le hasard y jouent un rôle essentiel». Propos corroborés par Tolstoï dans «Guerre et paix», où l’auteur écrivait: «Napoléon faisait des dispositions,….. Les maréchaux et généraux prenaient leurs mesures sans en référer à Napoléon, ….. Mais leurs ordres n’étaient le plus souvent exécutés qu’à moitié, de travers ou pas du tout». Voilà donc que le terrain échappe en fait au chef de guerre.

Marc Grassin, philosophe et co-fondateur (avec moi) de l’Institut Vaugirard Humanités et Management parle d‘écart entre le prescrit et le réel. Et de la nécessité d’être lucide sur cette réalité aux moments où il faudra décider, puis veiller à sa mise en oeuvre. La décision agit comme l’onde d’un caillou jeté dans les eaux calmes d’un étang, et dont les ondes se meurent progressivement au fur et à mesure que l’on s’ éloigne du point d’impact. Une sorte de «plouf».

Des biais de la décision

Les conférences, les livres, les études démontrent la difficulté de prendre une décision parfaitement pure. Ce serait faire abstraction de la multitude de biais qui vient perturber la belle mécanique.
Citons-en quelques-uns :

Il y a les biais de la confirmation, de l’intuition, des émotions, etc…, ces éléments qui viennent altérer la décision théoriquement ajustée. Ainsi, selon que le dirigeant est sur le plan relationnel, plus «dans la dette que dans le don» va aller chercher de la reconnaissance dans la décision prise et ainsi tendre à tordre sa lecture du réel pour justifier sa décision.

Un biais notable est celui de l’appartenance. Michel Crozier dans un de ses ouvrages, précisait que le dirigeant a tendance à prendre les décisions qui lui permettent de rester dans son organisation. Et donc de ne pas se faire rejeter par le corps social. Mais est-ce pour autant la bonne décision ?
Il peut y avoir également le biais de répétition qui va chercher à éviter de revivre une émotion négative, ou au contraire chercher à renouveler une émotion positive, une jouissance du moment qui flatte l’égo. J’ai ressenti cette griserie plusieurs fois dans mon existence, dont ce jour, où dans la plaine du Val d’Oise, commandant une manoeuvre de gendarmerie, à la vue de ces dizaines de véhicules de gendarmerie qui m’obéissaient scrupuleusement. Une griserie bien humaine, mais qui trop souvent répétée, peut créer progressivement un sentiment d’hubris, autrement plus soucieux.

C’est là que commence la lutte, ici contre la tentation de la toute-puissance. Dans son ouvrage Les Décisions absurdes, sociologie des erreurs radicales et persistantes, Christian Morel en fait la savante démonstration, observant, par exemple, qu’il y a davantage d’accidents quand le commandant pilote l’avion que lorsque c’est le numéro deux qui se retrouve aux commandes «La raison vient de la difficulté à dire au commandant qu’il se trompe, alors que l’inverse est plus aisé», explique le sociologue.

On le voit. Nos décisions ne sont pas toujours cartésiennes. Voire, pire que cela, n’allant pas toujours vers le seul bien commun. Il y a une forme d’humilité à rechercher pour bien décider.
Axel Dumas, Président d’Hermès, un peu provocateur relève que «L’arbitrage du manager c’est de choisir entre deux mauvaises décisions.», un peu comme si le dirigeant était un équilibriste, qui marche sans cesse sur une ligne de crête, qui ouvre de chaque côté sur deux abîmes. L’important étant que la balance cumulée entre les bonnes et les mauvaises décisions penche du bon côté.
Que ce soit en période « normale », ou de brouillard.

Jérôme Gasquet
Co-fondateur de l’Institut Vaugirard Humanités et Management.

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